LA CHINE ENTRE PLAN ET MARCHE

Publié le par Philippe

Où en est la Chine populaire ? Le pays est à l’évidence toujours communiste et reste un régime totalitaire. Les libertés civiles n’existent pas, la répression est omniprésente et on annonçait encore cette semaine qu’un évêque catholique non officiel (c’est à dire non inféodé au parti) avait été emprisonné. Ce n’est pas ce que l’on appelle une démocratie. Mais en même temps la Chine a indiscutablement évolué sur le plan économique et a introduit des éléments de décentralisation. Mais est-ce suffisant ? Peut-on être à moitié une économie de marché ? La Chine est-elle en train de réinventer le tiers système que l’on croyait passé aux oubliettes de l’histoire ?

 

La propriété légale des citoyens est inviolable

 

L’élément nouveau, c’est le changement de ton adopté lors de la session annuelle de l’Assemblée nationale populaire, qui vient de se tenir pendant une semaine à Pékin. La presse a souligné en particulier le changement d’attitude concernant la propriété privée. Certes, la notion de secteur privé n’est pas nouvelle et elle avait été introduite dans la constitution dès 1988, ce qui était déjà une entorse au dogme marxiste, puisque toute propriété privée implique pour les marxistes une exploitation : rétablir le secteur privé, c’est rétablir l’exploitation capitaliste.

Mais ce secteur privé était très minoritaire et avait un statut subalterne : il était défini comme un simple complément de l’économie socialiste. Ensuite, en 1999, un amendement a donné au secteur privé un rôle nouveau. Il devenait une « composante importante » de l’économie nationale. Mais évidemment cela impliquait que ce secteur privé, effectivement en forte expansion, restait minoritaire. Et surtout la question fondamentale n’était pas réglée : le statut de la propriété n’impliquait aucune sécurité juridique. Autrement dit, une simple décision politique pouvait entraîner la disparition et la confiscation de cette propriété privée, par étatisation du capital.

Qui oserait durablement entreprendre dans une insécurité juridique totale ? Rien d’étonnant à ce que les chefs d’entreprise chinois aient fait pression pour obtenir une meilleure garantie juridique de la propriété. Pour cela, ils ont eu l’appui en particulier des délégués des régions économiquement prospères, par exemple ceux de Canton. Ils ont donc fait adopter un amendement à la constitution indiquant que « la propriété légale des citoyens est inviolable », ce qui devrait constituer une base légale garantissant le droit de propriété.

 

La Chine n’est pas un état de droit

 

Il parait que le débat a été houleux au sein de l’Assemblée nationale (c'est-à-dire en fait du parti, puisque les délégués appartiennent tous au PC), la thèse officielle étant que la « fraction libérale » l’aurait emporté. C’est aussi la lecture que l’on en fait habituellement dans les médias. On peut cependant apporter des réserves. Tout d’abord, le mot de propriété légale. Cela sous-entend qu’il y a des propriétés qui ont été acquises « illégalement ». Mais dans un processus de transition assez confus, on pourrait soutenir que bien des propriétés ont été acquises de manière illégale. Et donc par ce biais contester la légitimité des propriétés et donc le droit de propriété.

Ensuite, l’amendement prévoit que l’Etat peut toujours « réquisitionner » la propriété au nom de « l’intérêt public ». Quant on voit quel usage on fait de cette notion dans les démocraties comme la France, on ne peut qu’être inquiet sur l’usage qu’on en ferait dans une dictature : l’intérêt public peut tout justifier. Cet amendement a été ajouté en particulier pour éviter que des enfants d’anciens propriétaires ne retrouvent les biens de leur famille. La lutte des classes, on le voit, n’a pas disparu. Mais surtout protéger la propriété privée, c’est un élément d’un état de droit. Or la Chine n’est pas un état de droit : toute activité reste soumise à l’arbitraire du pouvoir politique ; pourquoi l’économie échapperait-elle à cet arbitraire ? Peut-on avoir un demi état de droit ?

Même si l’on a une lecture optimiste de cette décision, la Chine est-elle pour autant devenue une économie de marché ? Même le rétablissement de la propriété privée n’est pas général, en particulier dans l’agriculture, qui reste le secteur majoritaire, où de nombreux paysans sont encore soumis à l’arbitraire le plus total et où la collectivisation est encore très forte.

 

L’économie mixte n’est pas une situation durable

 

Mais il est vrai en même temps que l’on est bien obligé d’observer le dynamisme de l’économie chinoise dans tous les secteurs où la liberté a été introduite. Le commerce extérieur chinois est en croissance extrêmement rapide (il représente 850 milliards de dollars) et la Chine joue le jeu, même si c’est parfois en traînant les pieds, du commerce international. Et cette liberté là est contagieuse. La Chine comprend bien mieux que les altermondialistes l’atout que représente pour elle l’insertion dans les échanges internationaux. Or cet engagement est contraignant, car on n’exporte pas des produits conçus par un plan, mais des produits créés sur un marché par des entrepreneurs. Ce que la Chine a compris.

D’ailleurs, depuis que le secteur privé participe à hauteur de 50% environ au PIB, la croissance s’est fortement accélérée. Elle a été de 7 à 8% par an ces dernières années et même de 9,1% en 2003. On a le sentiment que dès qu’on instaure un petit espace de liberté, les Chinois, qui sont traditionnellement dynamiques, se précipitent et entreprennent. On peut donc faire la même observation que celle que nous avions formulée pour l’Inde il y a quelques semaines, sauf que la Chine vient d’un socialisme plus totalitaire que celui de l’Inde. Ce qui marche en Chine, c’est ce qui est libéral. Ce qui freine, c’est ce qui reste public ou planifié.

Mais l’expérience chinoise repose aussi la question de l’économie mixte, ce qu’elle est aujourd’hui. Or l’histoire et le raisonnement économique, nous montrent que le tiers système, cela n’existe pas ; ce n’est pas une situation cohérente ou durable. On ne peut durablement mélanger des éléments centralisés et décentralisés. Et l’une des deux dynamiques finit par l’emporter : soit c’est la centralisation qui gagne et l’on retourne au plan ; soit c’est la dynamique des libertés, et on passe totalement au marché. Dans le cas de la Chine, les pesanteurs sociologiques du parti communiste sont énormes. Ce que l’on peut espérer, c’est que les Chinois, ayant goûté à un peu de liberté économique, en voudront davantage demain. La dynamique des libertés finira-t-elle par atteindre la sphère politique ? Pour l’instant, la tyrannie du statu quo est encore très forte.

http://www.libres.org/francais/conjoncture/archives/conjoncture_0304/chine_c1304.htm

Publié dans Politique

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A
Je trouve votre point de vue sur la Chine et son évolution intéressant. Comme vous je pense également que l'on ne peut faire indéfiniment le grand écart entre le dirigisme d'état et la liberté du marché. Pour l'instant les choses sont encore controlables car la chine a un énorme retard a rattrapé.L'Inde, où je me rends d'ici un mois, prend une orientation plus lente mais qui me paraît meilleure sur le moyen et long terme. cordialementalainB
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C
Le travail des enfants en dessous de 16 ans est interdit en Chine depuis 1994. La loi est claire a ce sujet. Si un patron d'entreprise se fait prendre il risque tres gros.
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P
<br /> La loi ne peut pas tout !<br /> <br /> http://www.chine-informations.com/actualite/le-travail-des-enfants-en-augmentation-en-chine_7453.html<br /> <br /> <br />
C
J'aime bien cette analyse. Le chapitre "economie mixte" me semble plutot pertinent.  Il est tres difficile de dire comment les choses vont evoluer dans les prochaines annes. Mais je ne crois pas que les chinois soient si "opresses" par le gouvernement comme certains semblent l'affirmer. En Chine, chacun est libre de gagner de l'argent et de s'epanouir a condition de ne pas faire de betise. C'est un peu simple comme facon de parler mais en gros c'est ca. Une part non negligeable de la population a gagne les couches sociales moyennes et leur vie quotidienne s'est amelioree. La Chine change, elle a le droit de changer et je suis impatient a l'idee de voir comment ce changement se fera.
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P
<br /> merci pour ton com. La Chine est très ambigüe. J'ai de voir comment elle va s'en sortir dans 10 ou 15 ans. Le travail des enfants me gêne plusss.<br /> <br /> <br />
L
un petit coucou avant de partir emmener mes enfants a l'école !bises
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P
<br /> coucou et bonne nuit<br /> <br /> <br />